Dans une décision unanime rendue jeudi, la Cour suprême des États-Unis a rejeté un précédent vieux de plusieurs décennies en renforçant les protections juridiques des travailleurs dont les croyances religieuses entrent en conflit avec leurs obligations professionnelles. L'arrêt rendu dans l'affaire Groff v DeJoy devrait avoir un impact significatif sur les possibilités d'emploi des Américains de diverses confessions qui ont souvent été confrontés à des difficultés en raison de leur pratique du sabbat. La décision de la Cour modifiera la manière dont les entreprises proposent des aménagements religieux en vertu du titre VII de la loi sur les droits civils de 1964.
L'affaire concernait Gerald Groff, un chrétien fervent dont la foi l'incite à observer un sabbat de 24 heures le dimanche. Groff travaillait pour United States Postal Service (USPS) [Services postaux des États-Unis], mais il rencontrait des difficultés constantes pour obtenir des aménagements religieux de la part de son employeur. Bien que l'USPS ait d'abord fait des arrangements, les appels répétés de Groff pour qu'il conserve la liberté de ne pas travailler le jour de son repos et de son culte ont finalement été rejetés lorsque l'USPS a signé des contrats avec Amazon, l'énorme entreprise de vente au détail et de distribution, pour les livraisons du dimanche.
Malgré ses demandes répétées d'être exempté de travailler le dimanche, l'USPS a rejeté les demandes de Groff, citant le précédent de Trans World Airlines, Inc. v Hardison (1977) qui n'exigeait des employeurs qu'une contrainte minimale. Ce seuil peu élevé, appelé « norme de minumus », était souvent utilisé pour justifier le refus d’aménagements pour raisons religieuses.
L'avis de la Cour, rédigé par le juge Samuel Alito, porte spécifiquement sur la norme « de minimus » et insiste sur une interprétation beaucoup plus substantielle de la notion de « contrainte excessive". Alito a écrit : « Nous pensons qu'il suffit de dire qu'un employeur doit démontrer que la charge d'accorder un aménagement entraînerait une augmentation substantielle des coûts par rapport à la conduite de son activité particulière. »
L'équipe juridique représentant Groff comprenait l'avocat adventiste Alan Reinach, directeur des affaires publiques et de la liberté religieuse de l’Union de fédérations des adventistes du septième jour. Au cours de la procédure d'appel, First Liberty, un important groupe de défense de la liberté religieuse, a rejoint l'équipe de juristes et a recruté un avocat d'appel, Aaron Streett, du cabinet Baker Botts, LLP. L'affaire a été plaidée devant la Cour le 18 avril 2023.
S'exprimant au nom de la Conférence générale des adventistes du septième jour et de sa Division nord-américaine, Todd McFarland, avocat général adjoint, qui a également rédigé le mémoire d'amicus curiae déposé par l'Église, a déclaré : « Nous sommes très heureux ce matin que la Cour suprême ait fait un pas important vers la protection des personnes de foi sur le lieu de travail. Personne ne devrait avoir à choisir entre son travail et sa foi. La décision d'aujourd'hui réaffirme que les employeurs ne peuvent pas utiliser la croyance religieuse d'un employé comme excuse pour le licencier. »
Un groupe diversifié d'organisations confessionnelles et de défense de la liberté religieuse a déposé des mémoires d'amicus curiae auprès de la Cour suprême pour soutenir Groff, notamment la Conférence générale des adventistes du septième jour, le Centre américain pour le droit et la justice, la Coalition sikh, l'Union des congrégations juives orthodoxes d'Amérique, le Conseil des relations américano-islamiques, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, la Coalition hindoue américaine, le Fonds Becket pour la liberté religieuse et la Commission mixte baptiste.
Les organisations qui se sont opposées à la requête de Groff devant la Cour sont l'AFL-CIO, le syndicat des travailleurs de la Poste américaine, la Freedom from Religion Foundation [Liberté pour la fondation religieuse] et le Center for Inquiry and American Atheists [Centre des demandes d’enquêtes et des athées américains].
« S'inspirant de l'affaire de 1977, les employeurs ne devaient subir qu'un minimum de difficultés pour justifier le refus d'un aménagement religieux à un employé, a déclaré Reinach. Cette norme a neutralisé la loi et a conduit au licenciement de milliers d'Américains de toutes confessions. Les adventistes du septième jour ont été particulièrement lésés dans la mesure où les travailleurs payés à l'heure se voient souvent attribuer des horaires décalés incluant les heures de sabbat. »
L'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Groff v DeJoy a non seulement reconnu le fardeau injuste imposé aux travailleurs ayant des conflits religieux, mais a également souligné la nécessité d'une approche plus solide en matière d’aménagements religieux.
Cet arrêt devrait avoir des conséquences considérables pour les travailleurs de tout le pays. En relevant le niveau d'exigence auquel les employeurs doivent se conformer pour justifier le refus d'un aménagement religieux, la décision de la Cour offre une plus grande protection aux employés ayant des convictions religieuses sincères. Elle envoie un message clair selon lequel les employeurs doivent faire des efforts raisonnables pour réaliser des aménagements pour rendre possibles les pratiques religieuses de leurs employés, même si cela implique un certain degré de difficulté.
La décision rendue dans l'affaire Groff v DeJoy est considérée comme une victoire importante pour les défenseurs de la liberté de religion qui ont longtemps plaidé en faveur de protections juridiques plus fortes. Elle marque une évolution vers une approche plus équitable qui reconnaît l'importance de prendre en compte les diverses pratiques religieuses des travailleurs américains. À la suite de cette décision, les employés confrontés à des conflits entre les exigences de leur travail et leurs croyances religieuses peuvent s'attendre à avoir davantage de possibilités d'obtenir des aménagements raisonnables de la part de leur employeur.
L'avocat Mitch Tyner, ancien avocat général associé de l'Église et ancien agent de liaison avec le Capitole, s'est montré à la fois satisfait et prudent quant à la décision de la Cour. « Tout d'abord, je tiens à féliciter Todd McFarland et son équipe, qui ont finalement obtenu de la Cour qu'elle répare une erreur commise il y a cinquante ans, a déclaré Mitch Tyner. J'ai passé plus de 40 ans à travailler dans ce sens, et ils ont réussi à le faire. Cela dit, il convient de noter que l'avis laisse une grande marge de manœuvre aux juridictions inférieures pour déterminer ce qui constitue une augmentation substantielle des coûts dans chaque cas. La Cour a modifié la recette à utiliser pour parvenir à une décision correcte. Mais n'oubliez pas que la preuve ultime est dans le gâteau, pas dans la recette. »
L'arrêt crée un nouveau précédent en matière d’aménagements religieux et il reste à voir à quelle vitesse les employeurs adapteront leurs politiques et leurs pratiques. D'autres litiges visant à clarifier les nouveaux seuils fixés par la Cour suprême sont à prévoir. Il est clair, cependant, que cette décision marque une étape importante dans la protection des droits des travailleurs ayant des conflits religieux.